L’inventaire du patrimoine culinaire de la France, Région Centre
aux éditions Albin Michel, mars 2012
La dernière pièce d’un puzzle gourmand vient d’être posée !
L’inventaire du patrimoine culinaire de la région Centre, publié au mois de mars 2012, s’inscrit au sein d’une entreprise de recensement qui couvre l’ensemble du territoire français depuis les années 1990. Cette dernière publication, qui marque un point final pour la métropole, a été coordonnée par l’IEHCA.
L’inventaire du patrimoine culinaire, initié par le Conseil National des Arts Culinaires, sur la base d’une directive des ministères de l’Agriculture et de la Culture, constitue un véritable état des lieux des productions locales de la France. L’objectif de cette initiative est à la fois culturel et économique. Tout en valorisant des produits et des savoir-faire constitutifs d’une culture propre à un territoire, cette collection permet, grâce à une meilleure connaissance du patrimoine alimentaire de la région étudiée, d’y associer des actions spécifiques permettant la relance de productions restées trop méconnues.
Cette collection, publiée aux éditions Albin Michel, révèle la richesse du paysage culinaire français et conserve sa mémoire. Il ne reste à ce jour plus que les inventaires de l’île de la Réunion et de Mayotte pour clore cette exploration gourmande.
On peut se demander que restera-t-il de ce patrimoine culinaire, 10 ans après la fin de ce remarquable travail d’inventaire. Combien de ces productions sont encore accessibles aujourd’hui ? Car le patrimoine est ce que nous héritons et nous transmettons aux nouvelles générations… Quelle valorisation de ce patrimoine ?
Concernant La Réunion, je suis bien placé pour vous dire que les décideurs n’en ont tout simplement rien à faire du patrimoine culinaire. Pour preuve, je vous donne mon expérience personnelle. En 2011, j’ai réalisé un stage de fin d’études au CIRAD, sur « l’agriculture patrimoniale à l’île de La Réunion ». Pendant le stage cette question de l’inventaire du patrimoine a été posée par plusieurs instances publiques, comme la DAAF ou la DRAC. Tous les autres DROM avaient réalisé leur inventaire régional. Des comités de pilotage se sont réunis, et tout laissait présager qu’à l’issue du stage, le travail d’inventaire allait démarrer même à La Réunion. C’était une chance pour moi de réaliser une expérience professionnelle et humaine enrichissante. Or, la nouvelle équipe régionale n’a pas souhaité financer ce projet. Ses priorités étaient ailleurs. (notamment dans l’océan, où gisent aujourd’hui les ruines de la nouvelle route du littoral toujours non terminée…).
Comme je ne suis pas du genre à baisser les bras, j’ai fait tout ce qui était dans mes moyens pour valoriser ce patrimoine… Pendant mon stage j’avais rencontré les producteurs de palmiste, une plante endémique de l’île. J’ai alors proposé d’inscrire ce produit dans l’arche du goût de Slow Food. Une petite équipe de paysans, chercheurs et autres défenseurs du goût, avait été montée. On aurait aimé envoyer les producteurs à Terra Madre, la rencontre mondiale des « communautés de la nourriture ». Quand nous avons convié l’élue régionale, autour d’un repas concocté par les paysans (à base de palmiste), elle nous a tout simplement dit que la région ne pouvait pas financer ce genre de projets !!
J’ai fini par amener moi-même un palmiste à Terra Madre, en marge d’un colloque (forum Origine, Diversité, Territoires). On l’a dégusté, on a proposé à Slow Food de l’inscrire dans son arche, mais tout s’est arrêté, car ces affaires demandent des énergies et du travail qu’on ne peut pas faire bénévolement…
Entre temps, j’ai du m’inventer un métier, car j’étais au chômage. J’ai lancé une micro-ferme urbaine en 2013 avec une association de jeunes motivé-e-s, et incité des centaines de personnes à travers des formations à cultiver la biodiversité en faisant vivre le patrimoine des jardins créoles… J’ai fini par faire une thèse, sur les fruits et légumes…
Mais j’ai surtout fini par quitter cette belle île, car malgré les efforts, ni moi ni les objets pour lesquels je me suis battu, n’ont été appréciés socialement (après la thèse, je me suis trouvé à nouveau au chômage), à part une petite poignée de personnes motivées et, bien-sûr, sans considérer les pratiques culinaires individuelles et domestiques, qui restent dans la sphère du privé et de la famille. Les médias ne cessent pour autant de s’emparer de ces questions, en multipliant les émissions, mais souvent de manière caricaturale (« le rougail saucisse sans saucisse », « on mange trop de gras et trop de sucre »)… Et on revient ainsi au point de départ : quelle reconnaissance collective, quelle valorisation pour ce patrimoine alimentaire ?