Merci Monsieur Joël !

Après 73 ans d’une vie bien remplie, Joël Robuchon nous a quittés le 6 août dernier. La Mission française du patrimoine et des cultures alimentaires sait ce que lui doit « le repas gastronomique des Français » qu’il interprétait à sa manière inoubliable dans une trentaine d’établissements semés dans le monde entier.

Notre démarche l’avait au départ surpris, car il craignait une manifestation d’arrogance, avant qu’il en comprenne le sens. Comme il en était persuadé, la cuisine française est merveilleuse, mais elle n’est pas la seule au monde. Il avait, il y a quarante ans, découvert la cuisine japonaise avec émotion. Il ne chercha jamais la fusion, mais sut toujours introduire dans ses recettes la touche nipponne qui fait mouche. Lorsqu’il œuvrait chez Jamin, rue de Longchamp à Paris, par exemple, il avait mis au point une soupe chaude de foie gras à la gelée de poule incroyablement savante, inspirée du chawamushi japonais par sa consistance, mais française jusqu’au bout des papilles.

Tous ceux qui ont eu le privilège d’y tâter n’oublieront jamais non plus sa marinière de coquillages, sa gelée de homard au chou-fleur et caviar, ses raviolis de langoustines au chou, sa tarte friande de truffes, oignons et lard fumé, son millefeuille de tomate au crabe, son agneau pastorale qui était, avec sa tête de veau, le meilleur compagnon de son inégalable purée. Avec cette dernière, il avait hissé l’humble tubercule qu’est la pomme-de-terre, naguère un matefaim, à l’empyrée de la haute cuisine, grâce au beurre de son terroir natal du Poitou et à sa haute et discrète technicité.

Il cuisinait avec la précision et le perfectionnisme d’un horloger, mais son travail ne se voyait pas et le résultat dans l’assiette était évident, lumineux, jubilatoire. Il illustrait le célèbre mot de Curnonsky : « Faites simple, vous risquez de faire bon ! », si oublié de tant de chefs marieurs de carpes et de lapins, manieurs de pinces à épiler et de fleurs des champs, cacophonistes satisfaits d’eux-mêmes. Certains d’entre eux se pressent aujourd’hui devant les micros et les caméras pour chanter les louanges du maître disparu dont ils n’ont jamais suivi ni surtout compris l’éthique culinaire. Ils étaient déjà là pour encenser Paul Bocuse il y a quelques mois dont ils piétinent tous les jours l’héritage.

Comme Monsieur Paul, nous ne vous oublierons pas, Monsieur Joël ! Vous avez appris, créé et transmis votre art avec l’humilité follement exigeante qui vous caractérisait. Votre cuisine survivra, nous en sommes certains et vos élèves sont déjà reconnus dans le monde entier parmi les meilleurs. Nous vous souhaitons une belle éternité qui, en votre compagnie, ne sera jamais trop longue. Comme Karen Blixen l’écrit dans le dîner de Babette : vous allez enchanter les anges !

 

Jean-Robert Pitte

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